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Prêt étudiant : en France, faut-il désormais s’endetter pour étudier ?

31 Mar 2019 | Vie d'étudiant

En France, selon l’Unef et l’Observatoire National de la Vie Etudiante (OVE), ils seraient entre 200 et 300 000 à avoir sollicité un prêt étudiant pour financer leur formation post-bac. La nécessité de s’endetter pour étudier concernerait plus ou moins 10% de la population étudiante.

Si le phénomène ne peut certes être comparé avec la situation Outre Manche et Outre-Atlantique, la tendance n’en reste pas moins à la hausse.

Comment expliquer cette augmentation du recours à l’emprunt étudiant ? Quelles solutions envisager quand l’endettement conduit au sur-endettement ? Le modèle français de gratuité pourra-t-il indéfiniment perdurer ?

 

 

Étudiants, l’avenir à crédit

Un documentaire de Jean-Robert Viallet

Le prêt étudiant finance les études, mais pas que…

En 2014, une dizaine d’écoles d’ingénieur publiques ont doublé leurs frais d’inscription, les faisant passer de 850 à 1850 euros. Avec la réforme de la taxe d’apprentissage en particulier, les écoles de management et de commerce ont elles aussi revu leurs tarifs à la hausse.

En l’espace de 20 ans, les frais de scolarité auraient même été multipliés par deux et demi par les business schools.  C’est ce qu’indique un rapport publié par l’Institut Montaigne, think tank libéral qu’on ne pourra pas soupçonner de complaisance à l’égard d’un modèle keynésien de financement de l’enseignement supérieur.
emprunt étudiant
Bien que la prise en charge par l’Etat reste la règle pour l’université, l’augmentation des frais de scolarité est donc une réalité pour de nombreuses autres formations.
Peut-elle suffire à expliquer l’augmentation régulière du recours à l’emprunt pour 11 % des étudiants d’école de commerce, 6 % des étudiants d’école d’ingénieurs et 4,5 % des étudiants d’université ou de santé ? (source : OVE 2016)

Le coût de la vie étudiante progresse aussi

Logement, transport, santé… les dépenses de la vie quotidienne ont cru elles aussi. Une progression supérieure à 8% depuis 2012 selon l’Unef.

Les contributions familiales, les jobs d’appoint et les aides publiques (dont seul 1 étudiant sur 4 profiterait) ont rendu nécessaire la recherche de financements complémentaires.

L’Etat depuis 2009 (avec les prêts à taux zéro), les banques et plus récemment quelques plateformes de crowdlending proposent donc de pourvoir aux besoins financiers des étudiants. Ces derniers empruntent moins de 10.000 euros lorsqu’ils sont à l’université et 30, voire 50.000 euros quand ils intègrent une école de management.

Une manne pour les créanciers. Une pression supplémentaire pour cette population.

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Dette étudiante anglo-saxonne : la petite bulle qui monte, qui monte…

endettement étudiantAux Etats-Unis, le cumul de la dette étudiante dépasserait largement les 1300 milliards de dollars. Pas loin de 20 fois le budget de l’Education Nationale et plus que le PIB de l’Espagne.

Pire : elle augmenterait d’environ 120 000 dollars chaque minute.

Selon une publication de la Banque de France datant de 2014, 40 millions de jeunes américains auraient ainsi contracté un prêt étudiant (70% des étudiants diplômés); le montant moyen emprunté dépassant les 30 000 dollars et ayant été multiplié par deux en l’espace d’une décennie.

Un autre rapport plus récent de l’Urban Institute indique que près de 20% de ces emprunteurs seraient dans l’incapacité de rembourser leur prêt. Un chiffre susceptible de tripler dans les 4 ans à venir.

Si ces prêts sont pour l’instant majoritairement détenus par les instances fédérales américaines, qu’adviendrait-il si le facétieux Donald Trump mettait à exécution son intention de les transférer aux banques privées ?

Le Royaume-Uni sur les traces de l’ami américain.

dette étudiante anglaiseOutre-Manche, le principe des prêts a supplanté celui des bourses depuis la fin des années 90. Et en 2021, cela fera très exactement 10 ans que l’augmentation du plafond des frais d’inscription voulue par le très conservateur David Cameron aura vu le jour. Celui-ci passant de 3 000 à 9 000 Livres.

Une augmentation qui conduit aujourd’hui près de 90% des étudiants de sa Gracieuse Majesté à recourir à de dispendieux crédits pour financer leurs études.

Conséquences ? Le total de la dette étudiante atteindrait aujourd’hui les 110 milliards de Livres. Et 80% de ces étudiants endettés seraient insolvables.

La généralisation du recours au prêt étudiant s’inscrit dans ce que Nico Hirtt appelle « le passage de l’ère de la « massification » à l’ère de la « marchandisation » des systèmes éducatifs ».

Emprunter pour financer ses études peut influencer ses choix d’orientation

Si le faible coût des droits d’inscription à l’université permet à la plupart des étudiants d’entamer une formation post-bac, il n’en est pas de même pour les enseignements sélectifs (écoles de commerce, écoles d’art…).

Dans ce dernier cas, la perspective d’avoir à recourir à l’emprunt pour financer ce type d’études peut tantôt en freiner certains, tantôt en convaincre d’autres au motif que la qualité de l’enseignement constituera un levier utile au moment d’arriver sur le marché du travail.

Dans le cadre d’un article publié en 2013 au sein de la Revue française de pédagogie, les auteurs ont cherché à savoir comment le coût des études intervenait dans les choix d’orientation des étudiants. Dans cette perspective, ils ont mené une dizaine d’entretiens auprès d’étudiants admis à la fois à l’Ecole Normale et à HEC Paris.

Il fallait que je m’endette pour aller à HEC parce que mes parents n’auraient jamais payé et ça m’embêtait beaucoup parce que tu t’endettes sur 30 000 euros pour ta scolarité et puis il faut payer ton logement, qui se monte quand même à 550 euros par mois, donc si tu fais le calcul, ça va très vite : tu rajoutes 15 000 euros. Donc tu empruntes 45 000 euros… Et je ne voyais pas comment rembourser. Donc il aurait fallu travailler, mais travailler depuis Jouys-en-Josas, sans le permis, tu ne peux pas, or je n’avais pas le permis et je n’avais pas les moyens de le payer, donc il aurait fallu que j’emprunte encore plus ! Je ne m’en serai jamais sortie dans le remboursement, ou alors si, ça aurait pris 10 ans comme les autres. En fait, je ne connais personne qui soit allé à HEC et qui se soit vraiment endetté.
Anne (élève en 2e année de Normal, originaire de la Région Parisienne) – Source : Revue Française de Pédagogie

Dans leur conclusion, les auteurs suggèrent que l’augmentation des tarifs pratiqués par les écoles de commerce peut contribuer à accroître « la sélection sociale à l’entrée, en renforçant des mécanismes d’orientation scolaire au sein même des étudiants au capital scolaire le plus élevé ».

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Emprunt étudiant : un avenir à crédit ?

l'avenir à credit pour les étudiantsAvant d’opter dans les années 80, politique d’austérité oblige, pour un retrait de la puissance publique, les Etats-Unis (comme le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Espagne…), subventionnait peu ou prou leur système d’enseignement.

Dans un contexte de concurrence mondiale accrue entre établissements, la France ne sera pas épargnée.

Avec environ 350 000 étudiants supplémentaires à l’orée de 2025, l’Etat pourra-t-il (souhaitera-t-il ?) continuer à assurer le financement d’un service public d’enseignement supérieur de qualité ?

C’est par conséquent bel et bien un choix de société qui nous est proposé : devrons-nous, comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, opter pour une « éducation par capitalisation » ?

Autrement dit, s’agira-t-il de privilégier une approche considérant l’enseignement comme un investissement qu’il convient de rentabiliser ? Ou bien préférera-t-on, comme dans les pays d’Europe du Nord, que cette charge demeure du ressort de l’Etat ?

Léonard Moulin est chercheur à l’Institut Nationale d’Etudes démographiques et auteur d’une thèse sur les frais d’inscription. Faisant référence au rapport intitulé « Education et croissance » remis en 2004 au Premier Ministre de l’époque Jean-Pierre Raffarin, il écrit :

Pour les auteurs, la principale conclusion est la nécessité « d’investir plus en éducation supérieure si nous voulons stimuler notre croissance de long terme et poursuivre notre convergence vers le niveau de productivité américain ».
(Ils) ont ainsi importé dans le débat public français l’idée selon laquelle la crise de l’enseignement supérieur serait d’abord due à une crise de financement, questionnant alors ouvertement la question de la gratuité des études supérieures en France. Mais pour eux les mérites de la hausse des frais d’inscription ne s’arrêtent pas à la question du financement des universités.
Convaincus du caractère vertueux des mécanismes de marché, les auteurs considèrent que les universités rendues véritablement autonomes et donc à même de recruter et de rémunérer librement leurs enseignants, de sélectionner leurs étudiants, d’entrer en concurrence les unes avec les autres, deviendraient in fine plus efficaces.
En payant plus cher pour leurs études les étudiants seraient ainsi responsabilisés.
Léonard Moulin – Source : Frais d’inscription dans l’enseignement supérieur : enjeux, limites et perspectives.

Si elle devait être systématisée en raison de l’augmentation des frais d’inscription, la solution de l’emprunt étudiant poserait un certain nombre de questions :

  • qu’en serait-il des modalités d’accès au crédit (quelles garanties offrir au prêteur ?) en fonction de son origine sociale ?
  • sur quels critères fonder l’assurance d’un remboursement du prêt : probabilités de débouchés professionnels ? Niveau de salaire visé ?…
  • certaines formations seront-elles plus « bankables » que d’autres (une Grande Ecole de commerce ou un master d’histoire de l’art) ? …

Plus largement, la perspective d’arriver sur le marché du travail avec une dette qui pourra s’avérer conséquente n’est guère réjouissante.

Savoir qu’après plusieurs années d’études faites dans un contexte de restrictions et de sacrifices, une part non négligeable de sa rémunération servira à rembourser son prêt étudiant durant 4, 5 ou même 10 ans supplémentaires interroge sur le sens d’une existence.

étudiant surendetté

Avec le risque d’un corollaire non négligeable : ces étudiants endettés pourront-ils rembourser leur prêt ?

Étudiants surendettés : où trouver de l’aide ?

De l’aveu même des banques, le nombre de dossiers de crédit traités croît chaque année. Pire : les sommes empruntées et les durées moyennes de remboursement progressent aussi.

Alors sans aller jusqu’à s’exiler comme le font certains étudiants américains, comment faire face à un problème de défaut de paiement s’il survient ?

  • Négocier avec le créancier. Les banques peuvent, au cas par cas, proposer des échelonnements de la dette,
  • Solliciter la Banque de France ou un organisme public (mairie, Conseil Général, Centre Communal d’Action Sociale…),
  • Certains forums spécialisés peuvent fournir des informations utiles, tout comme le réseau Crésus,
  • Si l’endettement relève plus d’une forme de pathologie, l’association Débiteurs Anonymes peut proposer un accompagnement,
  • Plus globalement, une liste des structures permettant d’accéder à des aides est disponible sur le site officiel Mes Aides.

Financer ses études : la bourse c’est la vie !

Rédacteur : Eric Eymard

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