Accueil > Le Mag > Prêt étudiant : en France, faut-il désormais s’endetter pour étudier ?

En France, selon l’Unef et l’Observatoire National de la Vie Etudiante (OVE), ils seraient environ 300 000 à avoir obtenu un prêt étudiant pour financer leur formation post-bac (et 600 000 à l’avoir sollicité). La nécessité de s’endetter pour étudier concernerait plus ou moins 10% de la population étudiante. Sans que l’on puisse infirmer ou confirmer ce chiffre en l’absence de données nationales.

L’endettement étudiant (…) mériterait d’être mieux documenté, ne serait-ce que pour évaluer les conséquences de la souscription d’un prêt sur les conditions de vie des étudiants.
Accompagnement des étudiants : une priorité et un enjeu d’avenir pour L’État et les collectivitésRapport d’information du Sénat du 6 juillet 2021

Si le phénomène ne peut certes être comparé avec la situation Outre Manche et Outre-Atlantique, la tendance du recours au crédit n’en reste pas moins à la hausse en raison notamment de l’augmentation du coût de la vie.

Comment expliquer cette augmentation du recours à l’emprunt étudiant ? Qu’en est-il de la situation dans d’autres pays ? Quelles solutions envisager quand l’endettement conduit au sur-endettement ? Le modèle français de gratuité pourra-t-il indéfiniment perdurer ?

Étudiants, l’avenir à crédit

Un documentaire de Jean-Robert Viallet

Le prêt étudiant finance les études, mais pas que…

Dans un ouvrage de 2021 consacré à « L’enseignement de la gestion en France« , Catherine Desjacques pose la question :

Aujourd’hui, essentiellement lié aux frais de vie (logement, nourriture, etc.), l’endettement concernerait entre 10 % et 12,5 % de la population étudiante en France. Sera-t-il bientôt de plus en plus lié aux frais de scolarité ?

En l’espace d’un peu plus d’une décennie les frais annuels de scolarité des grandes écoles de management ont augmenté en moyenne d’environ 18000 euros. Passant, selon une étude de Mister Prépa, de 25800 euros en 2011, à 43400 euros en 2023. Une hausse moyenne proche des 70%.

En l’espace de 20 ans, les frais de ces business schools auraient même été multipliés par deux et demi. C’est ce qu’indiquait un rapport publié par l’Institut Montaigne en 2014, think tank libéral qu’on ne pourra pas soupçonner de complaisance à l’égard d’un modèle keynésien de financement de l’enseignement supérieur.

Le phénomène ne date donc pas d’hier et touche aussi les formations publiques. En 2014, une dizaine d’écoles d’ingénieur publiques avaient doublé leurs frais d’inscription, les faisant passer de 850 à 1850 euros.

emprunt étudiant

Bien que la prise en charge par l’Etat reste la règle pour l’université, l’augmentation des frais de scolarité est donc une réalité pour de nombreuses autres formations.

Peut-elle suffire à expliquer l’augmentation régulière du recours à l’emprunt pour 11 % des étudiants d’école de commerce, 6 % des étudiants d’école d’ingénieurs et 4,5 % des étudiants d’université ou de santé ? (source : OVE 2016).

Le coût de la vie étudiante progresse aussi

Logement, transport, santé… les dépenses de la vie quotidienne sont elles aussi en hausse. Une progression supérieure à 8% depuis 2012 selon l’Unef.

« Le coût de la rentrée atteindra en moyenne 3 024 € en septembre 2023, poussé par une hausse de 8,88% des frais de vie courant », indiquait la FAGE lors de la publication de son 21ème indicateur du coût de la rentrée et du coût de la vie pour l’année 2023-2024.

indicateur du coût de la rentrée et du coût de la vie

Selon l’OVE, les contributions familiales, les jobs d’appoint et les aides publiques (dont seul 1 étudiant sur 4 profiterait) constituent 90% des ressources des étudiants. Insuffisantes pour certains, elles ont rendu nécessaire la recherche de financements complémentaires.

Des solutions d’emprunt variées pour les étudiants

Prêt à taux zéro, PGE (Prêt Étudiants Garantis), prêt d’honneur, prêt étudiant classique… l’Etat, les collectivités locales, quelques plateformes de crowdlending et bien entendu les banques proposent de pourvoir aux besoins financiers des étudiants.

Ces derniers empruntent moins de 10.000 euros lorsqu’ils sont à l’université et 30, voire 50.000 euros quand ils intègrent une école de management. Selon des modalités (montant emprunté, durée, taux, éligibilité…) qui varient en fonction de l’organisme prêteur.

Une manne pour les créanciers. Une pression supplémentaire pour cette population.

endettement étudiant

Dette étudiante anglo-saxonne : la petite bulle qui monte, qui monte…

Aux Etats-Unis, le cumul de la dette étudiante dépasse aujourd’hui les 1650 milliards de dollars. 26 fois le budget de notre Education Nationale et plus que le PIB de l’Espagne.

Selon la Data Education Initiative, 43 millions d’américains auraient ainsi contracté un prêt étudiant; le montant moyen emprunté dépassant les 35 000 dollars selon la Banque Fédérale des Etats-Unis.

Un autre rapport de l’Urban Institute indique que près de 20% de ces emprunteurs seraient dans l’incapacité de rembourser leur prêt. Un chiffre susceptible de tripler dans les 4 ans à venir.

Pas sûr que les mesures de Joe Biden pour effacer une infime partie de cette dette suffisent à enrayer le phénomène.

Pas plus d’ailleurs que les velléités philanthropiques du milliardaire Robert Smith qui proposa, en 2019, de prendre à sa charge les quelques 40 millions de dollars dus par des étudiants diplômés.

Le Royaume-Uni sur les traces de l’ami américain.

Outre-Manche, le principe des prêts a supplanté celui des bourses depuis la fin des années 90. Et les frais de scolarité ont grimpé à mesure que les subventions diminuaient.

Sous la coupe du très conservateur David Cameron, le plafond de ces frais est passé de 3500 euros à 10.500 euros entre 2011 et 2021.

Une augmentation qui conduit aujourd’hui près de 90% des étudiants de sa Gracieuse Majesté à recourir à de dispendieux crédits pour financer leurs études.

Conséquences ? Le total de la dette étudiante pourrait dépasser les 650 milliards d’euros en 2050. Last but not least, un rapport parlementaire de 2022 estimait que la moitié de ces étudiants endettés seraient insolvables dès 2023.

La généralisation du recours au prêt étudiant s’inscrit dans ce que Nico Hirtt appelle « le passage de l’ère de la « massification » à l’ère de la « marchandisation » des systèmes éducatifs ».

dette étudiante anglaise

Emprunter pour financer ses études peut influencer ses choix d’orientation

Si le faible coût des droits d’inscription à l’université permet à la plupart des étudiants d’entamer une formation post-bac, il n’en est pas de même pour les enseignements sélectifs (écoles de commerce, écoles d’art…).

Dans ce dernier cas, la perspective d’avoir à recourir à l’emprunt pour financer ce type d’études peut tantôt en freiner certains, tantôt en convaincre d’autres au motif que la qualité de l’enseignement constituera un levier utile au moment d’arriver sur le marché du travail.

Dans le cadre d’un article publié en 2013 au sein de la Revue française de pédagogie, les auteurs ont cherché à savoir comment le coût des études intervenait dans les choix d’orientation des étudiants. Dans cette perspective, ils ont mené une dizaine d’entretiens auprès d’étudiants admis à la fois à l’Ecole Normale et à HEC Paris.

Il fallait que je m’endette pour aller à HEC parce que mes parents n’auraient jamais payé et ça m’embêtait beaucoup parce que tu t’endettes sur 30 000 euros pour ta scolarité et puis il faut payer ton logement, qui se monte quand même à 550 euros par mois, donc si tu fais le calcul, ça va très vite : tu rajoutes 15 000 euros. Donc tu empruntes 45 000 euros… Et je ne voyais pas comment rembourser. Donc il aurait fallu travailler, mais travailler depuis Jouys-en-Josas, sans le permis, tu ne peux pas, or je n’avais pas le permis et je n’avais pas les moyens de le payer, donc il aurait fallu que j’emprunte encore plus ! Je ne m’en serai jamais sortie dans le remboursement, ou alors si, ça aurait pris 10 ans comme les autres. En fait, je ne connais personne qui soit allé à HEC et qui se soit vraiment endetté.
Anne (élève en 2e année de Normal, originaire de la Région Parisienne) – Source : Revue Française de Pédagogie

Dans leur conclusion, ils suggèrent que l’augmentation des tarifs pratiqués par les écoles de commerce peut contribuer à accroître « la sélection sociale à l’entrée, en renforçant des mécanismes d’orientation scolaire au sein même des étudiants au capital scolaire le plus élevé ».

l'avenir à credit pour les étudiants

Emprunt étudiant : un avenir à crédit ?

Avant d’opter dans les années 80, politique d’austérité oblige, pour un retrait de la puissance publique, les Etats-Unis (comme le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Espagne…), subventionnait peu ou prou leur système d’enseignement.

Dans un contexte de concurrence mondiale accrue entre établissements, la France ne sera pas épargnée.

Avec environ 350 000 étudiants supplémentaires à l’orée de 2025, l’Etat pourra-t-il (souhaitera-t-il ?) continuer à assurer le financement d’un service public d’enseignement supérieur de qualité ?

C’est par conséquent bel et bien un choix de société qui nous est proposé : devrons-nous, comme aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, opter pour une « éducation par capitalisation » ?

Étudiants surendettés : où trouver de l’aide ?

De l’aveu même des banques, le nombre de dossiers de crédit traités croît chaque année. Pire : les sommes empruntées et les durées moyennes de remboursement progressent aussi.

Alors sans aller jusqu’à s’exiler comme le font certains étudiants américains, comment faire face à un problème de défaut de paiement s’il survient ?

  • Négocier avec le créancier. Les banques peuvent, au cas par cas, proposer des échelonnements de la dette,
  • Solliciter la Banque de France ou un organisme public (mairie, Conseil Général, Centre Communal d’Action Sociale…),
  • Certains forums spécialisés peuvent fournir des informations utiles, tout comme le réseau Crésus,
  • Si l’endettement relève plus d’une forme de pathologie, l’association Débiteurs Anonymes peut proposer un accompagnement,
  • Plus globalement, une liste des structures permettant d’accéder à des aides est disponible sur le site officiel Mes Aides.
étudiant surendetté

ENTRETIEN AVEC L’UNION ÉTUDIANTE

Eléonore Schmitt, porte-parole de l’Union Étudiante, a bien voulu répondre aux questions de Tonavenir.

Il n’existe pas de chiffres officiels sur la dette étudiante en France. Pour quelles raisons ?

Effectivement, avec l’Union étudiante on demande qu’il y ait des données qui soient publiées et diffusées sur le sujet. Le dernier livre publié sur le sujet, La bombe de la dette étudiante de François Delapierre, date de 2013. Pourtant, le prêt étudiant est l’une des principales bulles financières aux Etats-Unis et l’on sait que c’est un vrai risque pour les marchés. Il est donc absolument nécessaire que le voile puisse être levé sur ce sujet et que des données sérieuses et publiques puissent exister.

En tant que syndicat étudiant, nous aidons et conseillons des étudiants qui ont contracté des prêts mais cela ne suffit malheureusement pas à avoir quelque chose d’assez solide afin de pouvoir avoir une vue d’ensemble sur ce problème et ainsi, mieux l’appréhender et le traiter.

porte parole Union étudiante

Qu’ils servent à payer des frais de scolarité en hausse ou permettent de pourvoir aux besoins élémentaires de la vie courante (logement, nourriture…) eux aussi soumis à l’inflation, les prêts bancaires constituent une solution de plus en plus employée par les étudiants. Des crédits qui subissent aussi des taux d’intérêt en augmentation. Que vous inspire ce phénomène ?

On voit effectivement que les prêts étudiants peuvent être considérés comme une « solution » par certains étudiants face à leur précarité. Or, c’est un vrai danger.

On l’a vu durant le confinement, c’est notamment Stanislas Guerini qui mettait en avant la solution des PARC (prêt à remboursement contingent), mais depuis, différentes banques surfent également sur ce phénomène pour vendre leurs services. Il est très clair que l’endettement ne sera jamais une solution pour pallier la précarité étudiante. Cela enchaîne à vie l’étudiant et peut même le contraindre dans son orientation.

Bourse du Crous, bourse Erasmus, Revenu Minimum Étudiant, Fonds National d’aide d’Urgence, aide à la mobilité Master… il existe de nombreux dispositifs permettant de soutenir financièrement les étudiants. Vous paraissent-ils utiles et/ou suffisants ?

Aujourd’hui, notre système de bourses est absolument insuffisant et le système de protection sociale de la jeunesse est quant à lui inexistant.

Les montants ne sont pas à la hauteur des besoins réels et ne sont pas indexés sur l’inflation, ce qui renforce l’inadéquation entre ce dont aurait besoin l’étudiant et ce qu’il a réellement.

En plus de cela, le système d’aides est absolument illisible ce qui fait qu’il est très difficile de se repérer lorsque l’on est étudiant à travers toutes ces démarches administratives et toutes les conditions qui existent pour toucher une aide.

Il faut absolument tout refonder, de la cave au grenier, pour en finir avec un système d’aides qui creuse finalement un peu plus la précarité étudiante.

Quels dispositifs devraient être selon vous mis en place pour que les jeunes puissent étudier dans de bonnes conditions ?

A rebours des politiques souhaitant développer les prêts étudiants, conditionner les aides ou restreindre leurs montants et/ou bénéficiaires, l’Union étudiante porte le projet d’un revenu d’autonomie pour l’ensemble des étudiants.

Concrètement, c’est 1158€/mois pour chaque étudiant afin que celui-ci puisse vivre au-dessus du seuil de pauvreté et avoir de meilleures conditions de vie et d’études.

L’universalité des aides et des montants est une nécessité absolue pour mettre en protection sociale la jeunesse, lui donner les moyens de se consacrer à sa formation sans se salarier à côté, et ainsi investir dans notre avenir afin notamment d’avoir une génération qui ressorte formée au plus haut niveau de qualification pour mener la bifurcation écologique.

Ce volet financier serait alors complété de droits nouveaux pour l’accès au logement ou encore à la santé.