Accueil > Le Mag > Présidentielle 2017 : le programme éducatif d’Emmanuel Macron

Depuis quelques semaines, les protagonistes tentent de convaincre les électeurs de leur confier les rênes du pays à l’occasion de l’élection Présidentielle qui se tiendra les 23 avril et 7 mai 2017. L’occasion pour Tonavenir.net de commenter les programmes de 3 des 11 candidats en matière d’Education et plus précisément leurs propositions concernant l’amélioration du processus d’orientation scolaire et des moyens alloués à cette mission.

Bernard DesclauxBernard Desclaux
Aujourd’hui retraité, Bernard Desclaux est un spécialiste de ces questions; il a été Conseiller d’orientation, directeur de CIO, formateur à l’orientation du personnel de l’Education Nationale. Il anime un blog sur Educpros.fr.

 

conseiller en orientation Landes / Pays Basque Tonavenir.netYves Destribats
Ingénieur de formation, Yves Destribats a enseigné les mathématiques en collège et en lycée durant une vingtaine d’années. Il est, depuis 2012, Conseiller en orientation du réseau Tonavenir.net à St Martin de Hinx dans les Landes (40).

 

Après celles de François Fillon en janvier dernier et de Benoît Hamon en mars, examinons les propositions en matière d’éducation de celui qui caracole aujourd’hui en tête des sondages : Emmanuel Macron.

Le programme éducatif d’Emmanuel Macron

Face aux multiples défis auxquels la France et les Français sont confrontés, l’école est le combat premier.

Le cap est clair : l’école est la priorité des priorités. Pour relever ce défi maintes fois porté par d’autres avant lui, y compris durant cette campagne, l’ancien collègue de l’actuelle Ministre de l’Education Nationale s’est assez largement inspiré des mesures mises en place par… Najat Vallaud Belkacem.

Dans son programme « pour une école qui garantisse la réussite de tous et l’excellence de chacun », Emmanuel Macron formule fixe 7 objectifs à atteindre :

  1. Faciliter l’accès aux crèches
  2. Renforcer l’apprentissage des fondamentaux à la maternelle et en primaire
  3. Améliorer les dispositifs d’orientation au collège et au lycée
  4. Garantir une insertion professionnelle réussie
  5. Mieux accompagner les enseignants
  6. Offrir une autonomie accrue pour les établissements
  7. Développer une plus grande implication des parents d’élèves et des associations

Bien qu’il figure en bonne place parmi les objectifs à atteindre pour Emmanuel Macron, l’enjeu de l’orientation scolaire ne débouche sur aucune proposition explicite. Stages de remise à niveau, études dirigées, retour sur l’accompagnement éducatif… L’ancien Ministre de l’économie paraît confondre décrochage scolaire et processus d’orientation, suggérant que les solutions apportées au premier régleront les carences du second.

On peine néanmoins à cerner en quoi des dispositifs visant à renforcer la remise à niveau des élèves pourraient contribuer à faire baisser le nombre de choix d’orientation erronés.

Augmentation des effectifs des Conseillers d’Orientation Psychologues ? Ouverture de nouveaux Centres d’Information et d’Orientation ? Personnalisation accrue et précoce de l’accompagnement des jeunes ? Les sources d’amélioration ne manquent pas. La volonté politique du candidat d’En marche se révèle en revanche quelque peu plus évasive.

programme éducatif emmanuel macron

Enseignement supérieur et orientation scolaire

Pour mieux comprendre la stratégie d’Emmanuel Macron en matière d’orientation, il faut consulter le chapitre « Enseignement supérieur et recherche ». Pour favoriser l’insertion de chacun sur le marché du travail, celui-ci entend « faciliter les choix d’orientation des étudiants ».

Comment ? En exigeant que…

chaque établissement de l’enseignement supérieur publie en toute transparence les taux de réussite et les débouchés professionnels, par formation, de ses anciens étudiants.

En demandant par ailleurs aux établissements d’afficher les « pré-requis » de leurs formations. Pour éclairer sa démarche, l’énarque cite l’exemple d’un lycéen qui se verrait demander de combler ses lacunes éventuelles avant d’accéder à une licence en sciences.

Ainsi abordée, la problématique de l’orientation se résumerait à la seule nécessité de faire coïncider les capacités, les acquis ou le niveau scolaire d’un lycéen avec les connaissances minimales exigées pour une formation donnée.

Dans ce contexte, l’intérêt portée à postériori à la discipline étudiée importe peu. Et les nombreux cas d’étudiants décidant de changer radicalement d’orientation ne paraissent pas avoir été pris en compte.

L’ENTRETIEN

 

picto TANQuel est votre sentiment général sur le programme éducatif d’Emmanuel Macron ?

 

Bernard Desclaux

Bernard Desclaux

L’accent mis sur la petite enfance et le primaire est de bons augures, mais cela risque de rester incantatoire lorsqu’on lit les autres propositions de ce chapitre.

La formulation des 7 objectifs à atteindre « pour une école qui garantisse la réussite de tous et l’excellence de chacun » part de belles intentions, mais les mises en œuvre indiquées sont peu précises. Même si  Emmanuel Macron déclare que l’école est le combat premier, ce n’est surement pas son intérêt personnel premier, et l’on peut s’interroger sur ses conseillers en la matière. Qui sont-ils ? On peut se reporter à l’article de Grégoire Poussielgue dans les Echos : « Emmanuel Macron : qui sont les quinze de sa garde rapprochée ».

Aucun n’est un spécialiste de l’éducation ! Pour un combat primordial, c’est un peu léger.

Bien sûr, « La guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires », mais tout de même, Clemenceau avait sûrement autour de lui quelques conseillers militaires…

Et l’Emission politique du jeudi 6 mars sur France 2 n’a pas arrangé les choses. Un profond silence à propos de l’éducation. En replay durant quelques jours, ensuite il faudra chercher peut-être sur Youtube.

 

programme macron

 

conseiller en orientation Landes / Pays Basque Tonavenir.net

Yves Destribats

Emmanuel Macron cherche à réduire la « fracture scolaire » qui conduit à la déshérence de 150 000 jeunes scolarisés en France chaque année. Il prend le mal à la racine, en renforçant l’accès aux crèches, et en réduisant drastiquement les effectifs de CP et CE1 dans les zones prioritaires. Cette dernière mesure spectaculaire et inédite mérite nettement d’être mise en œuvre, elle me paraît pragmatique et réalisable.

Les bilans personnalisés établis chaque début d’année pourraient être utiles, mais attention à leur élaboration (le langage pédagol  et son fameux « référentiel bondissant », si chers à Philippe Meyer), et à la surcharge administrative générée pour les enseignants ! Une fois encore, la sacralisation du numérique est entérinée. A l’instar de l’un des objectifs des TPE au lycée, la mission des enseignants devrait à mon avis consister à aider les élèves à hiérarchiser la qualité et la fiabilité de l’information, et à ne pas se contenter de celle qui fait le buzz… et continuer, encore et toujours, à cultiver une part réservée au doute, en plaçant cette part aux bons endroits, gage de lutte contre les redoutables amalgames.

Je suis plus circonspect quant à la lutte contre la « déperdition des savoirs par des stages de remise à niveau » : j’y vois une concession démagogique, sans compter le danger de stigmatisation publique des enseignants qui ne seraient pas volontaires. Tout enseignant sait qu’il lui est nécessaire, l’année n+1, de revenir sur les savoirs de l’année n, et leur mise en lien est précisément un repère hiérarchique pour les élèves, qui favorise la consolidation du savoir par le sens, et non par le recours à une forme de bachotage porteuse en elle-même des germes de l’injustice sociale sous une forme soumise et assez abêtissante.

L’implication parentale, la « mallette des parents » me semble être une bonne mesure : une de mes amies professeur des écoles me disait récemment que près de la moitié des parents de ses élèves de CE1 ne visent pas le cahier de leur enfant ; c’est pourtant une demande renouvelée de manière hebdomadaire…

picto TAN

Que penser des « propositions » consacrées à l’orientation scolaire ?

Bernard DesclauxComme il est dit dans l’introduction de cet article, il y a de la confusion dans l’air :

L’ancien Ministre de l’économie paraît confondre décrochage scolaire et processus d’orientation, suggérant que les solutions apportées au premier régleront les carences du second.

On reste sur une conception très traditionnelle de l’orientation : une décision individuelle éclairée par l’information !

La question de l’orientation n’est envisagée qu’en fin de parcours scolaire, « … l’un des défis qui est le nôtre, c’est lorsque le lycée s’achève et que les enfants doivent prendre la mer, l’entrée dans ce monde nouveau, dans l’enseignement supérieur, nous avons une transformation profonde à conduire : celle de l’orientation. Celle qui consiste à accompagner tous les enfants et en particulier les boursiers, celles et ceux qui viennent des quartiers les plus défavorisés à accéder à l’information, à accéder aux bonnes formations. » (intervention à Lille le 14 janvier 2017 sur Youtube).

L’orientation serait donc une affaire d’accès à l’information, une affaire de déblocage de motivation des personnes. Sûrement, et c’est bien de le dire, et de pointer les barrières sociales en la matière. Mais s’arrêter là est bien dangereux.

Exiger que « chaque établissement de l’enseignement supérieur publie en toute transparence les taux de réussite et les débouchés professionnels, par formation, de ses anciens étudiants » peut paraître une « bonne idée ». La gestion des formations universitaires est depuis longtemps dépendante d’une préoccupation de données sur l’insertion. Il s’agirait donc d’étendre au privé les exigences du public. Mais il faudra alors sans doute installer un contrôle de ces différentes données… qui risquent de devenir de nouveaux arguments publicitaires. Et en tout cas cette idée de renforcer les informations sur les formations s’inscrit bien dans cette conception de l’orientation : un choix éclairé !

Ne pas oublier que l’orientation c’est aussi la structure des offres de formation, les règles plus ou moins officielles pour gérer les passages du lycée à l’enseignement supérieur, le financement des études, la carte géographique qui permet la mobilité des uns et l’immobilité des autres, etc… Il faudra bien un jour réfléchir sérieusement aux conséquences d’un déclin numérique de l’Université. Aujourd’hui moins de la moitié des places du supérieur sont offertes par l’Université !

Cette évolution s’est faite sans réelle décision politique.

L’autre oubli, mais peut-être sera-t-il traité dans le programme à venir concernant le collège et le lycée, c’est que notre système scolaire est organisé par un principe de sélection dont un des éléments est la procédure d’orientation. J’ai beaucoup écrit sur cette question, il suffit de chercher sur mon blog avec le mot clé « procédures d’orientation ».

Le point essentiel est qu’un principe de sélection va à l’encontre d’un objectif de réussite de tous. Si on veut une différenciation positive de la formation, elle doit se faire dans le cours du deuxième cycle du secondaire par une recomposition des trois voies de formation (générale, technologique, professionnelle) et la mise en œuvre d’une seconde commune. Ceci permettrait alors à l’ensemble école-collège de se consacrer réellement à l’acquisition, par tous, du socle commun. Il est alors nécessaire de supprimer les procédures d’orientation dans l’espace du collège. Ces questions ont été développées dans la série d’articles consacrée aux cadres d’une réforme du lycée, et en particulier dans le dernier.

Les cadres d’une réforme du lycée (1)
Les Cadres d’une réforme du lycée (2)

Rappelons que concernant l’orientation au sens large, il existe deux services publics en France : le service public de l’emploi, et le service public régional de l’orientation (Loi de 2009, et accord-cadre en 2015) présenté ainsi par la Gazette des communes.

Ces deux organismes maintiennent la vieille séparation originelle entre le placement et l’orientation, entre l’emploi et la formation initiale, toute une série de clivages de moins en moins pertinents. Les évolutions vers ces deux services ont été très lentes et compliquées, mettant en œuvre des intérêts forts divergents (état, région, organisations publiques et privées ou associatives, organisations professionnelles des employés du domaine, etc…).

La réflexion et la coordination de ces deux domaines seront à reprendre en fixant clairement l’objectif : l’aide aux personnes ou leur contrôle ? Du quel côté de la définition européenne de l’orientation doit on pencher ?

Rappelons la définition de l’orientation établie lors de la Conférence PETRA, à Rome, en novembre 1994 :

Un processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formation.

Remarquons au passage que cette définition n’a pas grand-chose à voir avec nos procédures d’orientation et ne se préoccupe pas de l’orientation scolaire au sens où, nous Français, nous l’entendons.

Il n’est sans doute pas inutile de prendre la question à partir de la scène du travail, le thème de la formation continue semble plus préoccupant pour Emmanuel Macron.
Plusieurs idées se combinent.
Et tout d’abord l’idée de la nécessité de rendre moins risqué le désir d’entreprendre afin de développer l’économie. A ce titre il envisage une simplification du droit du travail et surtout de renvoyer au niveau des entreprises l’espace de négociation de manière à ce que « la réalité des entrepreneurs soit plus simple, plus concrète, au réel du quotidien ».

Il faudra sans doute que les grands principes définis par la loi soient suffisamment forts et clairs pour éviter un éclatement total de la protection des employés, car l’énoncé de ce projet l’est surtout du côté de l’entrepreneur, avec l’idée que si l’entreprise réussit, cela bénéficie aux employés, automatiquement (?). Malheureusement cela ne va pas de soi me semble-t-il. L’entrepreneur n’est pas forcément un « bon » entrepreneur, et il en est de même d’ailleurs pour l’employé. Des mesures techniques financières sont également indiquées que je ne commenterais pas.

Une deuxième idée importante est celle de la couverture du chômage ouverte à tous, employés et entrepreneurs. Et il ne s’agit pas seulement de finances, mais également de formation. « … je veux que nous ayons une vraie politique de formation continue et de qualification, un vrai service public de la qualification et de la formation tout au long de la vie, c’est cela l’émancipation véritable. » Les évolutions technologiques, la révolution numérique, la transition énergétique modifient les métiers, les qualifications, les emplois. Il s’agit donc « de préparer à tous les âges de la vie nos concitoyens ». Un « service public de la qualification et de la formation » est donc nécessaire.
Mais faut-il préciser qu’« après cette formation, chacune et chacun devra prendre l’offre d’emploi qui lui est offerte si elle correspond à ses opportunités. C’est cela mes amis, l’émancipation par le travail, l’émancipation qui nous permettra de rentrer dans ce siècle. »

Il me semble que l’on a ici de grandes confusions qui risquent de s’installer entre orientation, insertion, et placement… L’autorité dans ce domaine comme dans d’autres s’applique le plus souvent sur les plus faibles, pour leur bien, soi-disant.

Reste que l’évolution conjointe et coordonnée de l’éducation, de la formation initiale et de la formation continue sera essentielle pour nous faire entrer réellement dans ce siècle.

conseiller en orientation Landes / Pays Basque Tonavenir.net

Yves Destribats

Il est difficile en effet de distinguer dans la vision d’Emmanuel Macron la part de responsabilité de l’orientation dans l’échec scolaire : nous sommes trop souvent consultés lorsque cet échec est avéré, alors que les questions d’orientation se posent pour tous, indépendamment de la réussite du parcours scolaire. On est toujours gagnant à engager cette réflexion précocement, mais pas trop précocement, et surtout pas dans un contexte anxiogène.

Emmanuel Macron indique que l’orientation sera « informée », sans plus s’étendre sur les moyens. Nous savons tous que l’information, si elle est nécessaire, n’est pas suffisante.

Les jeunes étudiants seront invités, pour un trimestre dans leur scolarité, à transmettre à leur tour dans le cadre d’un dispositif d’après la classe : pourquoi pas ?

L’effort en faveur de l’apprentissage me paraît louable, mais une fois encore, à condition qu’une réflexion personnalisée ait été menée comme préalable à tout engagement : trop d’artisans,  de patrons ont souffert d’avoir accueilli dans leur entreprise un adolescent qui s’y est vu parachuté : le désenchantement est alors cruel, et particulièrement délétère, tant pour l’apprenti que pour son employeur.

Il réside dans le processus d’orientation une part d’engagement qui reste intime, une intimité qui relève aussi de notre héritage, nos atavismes. Atteindre ces intimités requiert du respect, une absence totale de préjugés, une confiance absolue, et une capacité de confidentialité qui confine au secret professionnel. La « fracture scolaire » qu’Emmanuel Macron comme ses concurrents cherchent à réduire, n’a-t-elle pas porté une atteinte propre à compromettre durablement l’émergence de ces intimités au sein de l’institution ?