François Fillon, Yannick Jadot, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon… Dans les semaines à venir, les protagonistes tenteront de convaincre les électeurs de leur confier les rênes du pays à l’occasion de l’élection Présidentielle qui se tiendra les 23 avril et 7 mai 2017. L’occasion pour Tonavenir.net de commenter les programmes de 3 des 11 candidats en matière d’Education et plus précisément leurs propositions concernant l’amélioration du processus d’orientation scolaire et des moyens alloués à cette mission.
Pour ce faire, nous avons sollicité deux personnes susceptibles d’éclairer ces projets à l’aune de leurs expériences et sensibilités respectives :
Bernard Desclaux
Aujourd’hui retraité, Bernard Desclaux est un spécialiste de ces questions; il a été Conseiller d’orientation, directeur de CIO, formateur à l’orientation du personnel de l’Education Nationale. Il anime un blog sur Educpros.fr.
Yves Destribats
Ingénieur de formation, Yves Destribats a enseigné les mathématiques en collège et en lycée durant une vingtaine d’années. Il est, depuis 2012, Conseiller en orientation du réseau Tonavenir.net à St Martin de Hinx dans les Landes (40).
Le programme éducatif de François Fillon
Il tient en 7 pages titrées « Education parce que tout commence par là » et s’articule autour de 3 grandes déclarations d’intention : garantir l’apprentissage des fondamentaux, s’ouvrir davantage sur le monde (« notamment sur l’économie et les professions »), revaloriser et renforcer l’apprentissage pour faciliter l’accès à l’emploi.
Plusieurs objectifs y sont définis : acquérir « des connaissances et du savoir », « aimer apprendre, aimer s’élever, aimer se dépasser », reconnaître le mérite, récompenser l’effort, respecter l’autre, inculquer la politesse, la ponctualité, l’assiduité « dès le plus jeune âge »… L’école prônée par François Fillon tend à ré-affirmer avec force certaines valeurs autant qu’elle vise à l’acquisition de quelques fondamentaux, la lecture étant le premier d’entre eux.
…l’école doit s’affirmer comme le lieu d’acquisition de connaissances, de compétences et de valeurs permettant à chacune et chacun de trouver sa place et un emploi pour s’insérer convenablement dans la société (…) Le socle commun de connaissances et de compétences dont tout élève doit disposer en fin de scolarité obligatoire (loi de 2005) doit être la référence absolue : une première partie de ce socle doit être effectivement acquise à l’école primaire, avec la maîtrise de la lecture, priorité des priorités.
Au collège, le candidat des Républicains entend briser la spirale de l’échec scolaire. Consolidation des fondamentaux et « ouverture au monde et à l’environnement économique » constituent le premier point de ses propositions pour cette classe d’âges. Notons que pour François Fillon « l’ouverture au monde » se résume à « l’éducation civique, (aux) enseignements de l’esprit de défense et du fait religieux » (sic).
C’est à se demander si Droite comme Gauche ne se trompent pas de mission ?
À se demander si les politiques de tous bords n’ont pas la même propension à faire de l’Education Nationale le vecteur de valeurs morales, voire idéologiques, plutôt que le pourvoyeur d’un savoir, préambule nécessaire à l’apprentissage de la pensée ?
Dans son programme éducatif, François Fillon suggère par ailleurs de limiter le nombre d’enseignants durant les 2 premières années du collège pour « une meilleure continuité avec le primaire ». Dans cette perspective, un même professeur pourrait se voir confier l’enseignement de l’histoire-géographie et du français, ou encore des Sciences de la vie et de la terre, de la technologie et des mathématiques, voire du français et d’une langue.
Le texte ne précise pas si cette forme inédite de syncrétisme pédagogique répond à l’engagement de supprimer 500.000 postes de fonctionnaires.
Ni d’ailleurs comment un professeur formé à expliquer le théorème de Thalès sera en mesure de décrire à ses élèves le rôle de l’empire romain dans le monde Antique.
Et l’orientation scolaire ?
Les quelques lignes dédiées au thème de l’orientation scolaire relèvent du chapitre consacré à l’ouverture sur le monde.
Améliorer l’efficacité du processus d’orientation. En effet l’orientation précoce doit permettre dans certains cas de lutter contre le décrochage scolaire. Elle doit tenir compte des talents de l’enfant tout autant que de ses capacités scolaires. Elle doit être effectuée en concertation réelle avec la famille, l’enfant et la communauté éducative et prendre en compte le profil psychologique de l’enfant ainsi que sa maturité à l’aide des outils adéquats. Les parents peuvent être invités à présenter des métiers différents.
Une explication de texte eut été nécessaire pour appréhender précisément l’objectif fixé. La proposition sous-entend-elle que les élèves en difficulté scolaire présumée devraient s’orienter (être orientés ?) vers l’apprentissage ou vers une filière professionnelle ou technologique ? Et ne faut-il améliorer le processus d’orientation que dans ces cas (lesquels ?) où, à défaut d’être avéré, le décrochage scolaire s’avère probable ? Enfin, quid de solutions visant à enrayer un décrochage possible, via des méthodes d’enseignement alternatives par exemple ?
Pour comprendre plus précisément la volonté de François Fillon en matière d’orientation, il faut glaner ici et là les réflexions qu’il nous livre.
Au lycée, il convient de donner aux élèves les moyens de préparer résolument la transition vers l’enseignement supérieur et vers leur avenir professionnel (…) Permettre à chaque élève de première et de terminale de se concentrer davantage sur les matières dominantes de sa série (littéraire, économique, scientifique, technologique) qui le prépareront à la prochaine étape de son parcours, avec une orientation résolument engagée vers l’enseignement supérieur et son avenir professionnel.
Plus de détails dans le volet Enseignement supérieur & recherche de son #UnProjetPourLaFrance. L’ancien Premier Ministre de Nicolas Sarkozy y explique vouloir refondre l’épreuve du Baccalauréat afin de permettre aux universités de fixer elles-même les matières qu’elles privilégieront pour permettre aux lycéens d’accéder aux parcours de licence proposés.
L’Etat a le devoir de garantir l’accès des bacheliers à l’enseignement supérieur, ce qui ne veut pas dire qu’il offre le droit d’accéder à n’importe quelle formation, n’importe quel diplôme de l’enseignement supérieur, ni d’y accéder indéfiniment. Cet accès à l’enseignement supérieur est largement lié aux questions intéressant l’enseignement secondaire. C’est pourquoi Il faut d’abord repenser à l’organisation de notre baccalauréat général et technologique, pas seulement pour le simplifier mais aussi pour en revaloriser son contenu. (…) Quatre épreuves plus solides par leur niveau et comptant pour 60% des résultats portant sur des disciplines qui intéressent le plus le lycéen dans sa préparation à l’enseignement supérieur seront mises en place. Les universités feront connaître, pour leurs différents parcours de licence, les épreuves qu’elles recommandent vivement de choisir au baccalauréat. Elles pourront alors dans les filières dites en tension, où se présente un très grand nombre de candidats, non pas recevoir des élèves tirés au sort par les ordinateurs de l’application APB, mais retenir ceux qui se sont préparés dès le lycée à la voie d’enseignement supérieur pour laquelle ils postulent et qui ont l’envie et le talent nécessaires pour réussir.
Les quatre épreuves en question ne sont pas spécifiées. S’agira-t-il des matières ayant les plus gros coefficients pour la filière concernée ? Quoiqu’il en soit, cette stratégie, bien loin d’ouvrir le champs des possibles à des jeunes de première et de terminale qui doutent encore de la voie à suivre, leur imposera de faire des choix par défaut… À défaut d’être capables de choisir ce qu’ils veulent faire.
Les solutions préconisées n’étant pas accompagnées d’un renforcement des moyens alloués aux COP et aux CIO, renforcement qui permettrait d’accompagner le jeune aussi tôt que possible dans sa quête de formation, ne faut-il pas craindre une recrudescence de réorientations ou une augmentation des décrochages scolaires post-bac ?
L’ENTRETIEN
Quel est votre sentiment général sur les constats et les propositions de François Fillon ?
Nécessité d’une excellence du système éducatif, non-aboutissement des réformes, difficulté des jeunes à s’insérer dans la vie professionnelle, trop d’échecs dans l’enseignement supérieur. Peut-on être en désaccord avec ces constats ? Sûrement pas, mais examinons quelques propositions.
« Le socle commun de connaissances et de compétences dont tout élève doit disposer en fin de scolarité obligatoire (loi de 2005) doit être la référence absolue… ». Ah, que de belles paroles. Ce « socle commun », il en aurait été l’instigateur à l’entendre, tout comme pour le développement de l’internet en France ! Lors de son voyage à Las Vegas il a déclaré :
J’ai ouvert les télécommunications à la concurrence. Vous pensez qu’il y aurait de l’Internet en France si on avait toujours France Télécoms avec des fonctionnaires ?
Il s’agit en fait de l’application d’une directive européenne. En 2005, l’apparition du socle commun dans la loi française provenait de l’engagement de la France dans le processus de Lisbonne.
Il semble aujourd’hui que la gauche comme la droite fasse référence à un socle commun comme objectif d’acquisition pour l’éducation obligatoire. Il y aura sans doute ici des nuances importantes sur le contenu et sur qui en décide. Mais pour F. Fillon il semble bien que les choix soient déjà faits par l’insistance d’un terme, « les fondamentaux », terme qui apparait huit fois dans son programme (Education, parce que tout commence par là).
Autre proposition : abolir toute notion de cycle. Rappelons-nous le coup de tonnerre provoqué par cette notion de cycle qui apparaît avec la loi Haby. Concrètement il s’agit du passage dans l’année suivante sans une autorisation nécessaire du conseil de classe. Le cycle est perçu comme une atteinte au pouvoir enseignant et non pas comme la nécessité d’une nouvelle organisation pédagogique. Cette abolition serait donc un retour au bon vieux temps ? Tout comme une autre abolition préconisée, celle de l’interdiction des devoirs à la maison, interdiction datant de 1956 et toujours contestée dans les pratiques.
Yves Destribats
Je suis toujours circonspect lorsqu’il s’agit de brandir l’orientation, de manière précoce qui plus est, comme un recours au décrochage scolaire : nous autres professionnels de l’orientation, savons bien que, face aux cas de parents qui font appel à nous au plus fort d’une crise nous trouverons rarement une solution-miracle, et peinerons à sortir des lapins d’un chapeau.
Les raisons du décrochage sont satellisées, protéiformes, depuis la difficulté à se sociabiliser de l’enfant adulé jusqu’à l’élève précoce, en passant par une difficulté « technique » ou d’ordre médical pas toujours repérée à temps, ou un sentiment d’insécurité ressenti, à tort ou à raison, au sein de la cellule familiale, ou encore un événement du vécu perçu comme traumatisant ou sournoisement délétère…
Dans combien de ces cas, parfois cumulés, l’identification, pas toujours pertinente, d’une filière professionnalisante, et la facilitation vers ses accès, permettront-elles au jeune élève une levée de son ou de ses mal-être ?
Je recevais en octobre dernier un jeune homme déscolarisé depuis mars, qui ne s’est pas présenté aux épreuves du bac (S). Il fuyait ses repères, tant scolaires que familiaux, mais il assistait assidument, en candidat libre, aux cours de la fac de psycho… Très récemment Pierre, titulaire récent d’un CAP ventes, dont le profil est celui d’un être introverti, investigateur, rassuré par le cadre et les consignes précises : au cours de son stage, il se voyait confiées les clés du commerce qu’il tenait seul, des journées entières… Ce qui aurait pu paraître à certains comme paradisiaque en termes d’indépendance, confiance et responsabilité, a été un enfer d’angoisses pour lui ! Il n’a obtenu son diplôme que grâce aux notes obtenues… dans les disciplines générales : math, français, histoire-géo, et il ne veut plus entendre parler de commerce.
Que penser des dispositions prévues pour l’orientation scolaire des collégiens et des lycéens ?
L’orientation est évoquée dans la partie consacrée à l’ouverture au monde comme la dernière proposition titrée ainsi : « Améliorer l’efficacité du processus de l’orientation ». On ne peut qu’être d’accord, sauf quand on comprend que l’orientation dont il s’agit concerne l’orientation professionnelle et précoce ! Donc retour de l’orientation en cours de collège, et parait-il sans dérogation à l’acquisition du socle commun ; flou artistique sur l’identité du/des décideurs, retour du talent et du profil psychologique le tout étant défini par les outils adéquats. Les belles conceptions et pratiques qui remontent aux origines de l’OP (l’orientation professionnelle) sont de retour.
Décidément, ce monsieur qui veut aller de l’avant regarde beaucoup en arrière !
Cette orientation précoce permettrait de « relancer l’apprentissage », serpent de mer en France que la droite comme la gauche agite régulièrement depuis plus de vingt ans. À y regarder de plus près, l’apprentissage en difficulté en France concerne les formations vers l’artisanat qui correspond aux diplômes professionnels de premier niveau, le CAP. Pour les formations supérieures, l’apprentissage se porte plutôt bien. Développer l’artisanat peut-il se faire en luttant contre le décrochage scolaire, c’est-à-dire en lui réservant les jeunes qui ne veulent plus de l’école ou dont l’école ne veut plus ? Un autre phénomène commence à se dessiner, celui des réorientations tardives, celles des étudiants du supérieur qui choisissent une formation artisanale ensuite, et qui seront sans doute de bons entrepreneurs dans ces secteurs.
Une autre incidence sur l’orientation scolaire viendrait de la nature du brevet. Il deviendrait le certificat d’acquisition du socle. Ah bon ? Sauf qu’il l’est déjà. En fait la grande différence tient à ce qu’il deviendrait nécessaire pour entrer en lycée. Mais de quel lycée s’agit-il ? Cette nécessité vaut-elle pour la préparation de n’importe quel baccalauréat, du général, du technologique, du professionnel ? Mystère, d’autant plus que dans une partie suivante du programme, l’enseignement professionnel est confié aux régions. Vont-elles se contenter de recevoir et d’accepter les élèves « envoyés » par les collèges ? La dépendance du passage en lycée avec obtention du brevet, soit l’acquisition du socle commun montre bien que son acquisition par tous les élèves n’est pas l’objectif prioritaire. Le collège peut ainsi poursuivre tranquillement son rôle de trieur.
À la suite de la réforme des lycées de 2005, différents dispositifs d’assouplissement des procédures d’orientation avaient été introduits par le décret n° 2010-100 du 27-1-2010 – J.O. du 28-1-2010 (NOR > MENE0929872D) que F. Fillon avait signé lorsqu’il était Premier ministre, Luc Chatel étant ministre de l’EN. A l’époque j’en avais fait la critique dans cet article : « L’orientation au lycée, réforme nationale ou locale ? ».
À ma connaissance, aucune évaluation de ces dispositifs n’a été pratiquée. Il faut dire que ces dispositifs dépendaient pour la plus part de la mise en œuvre de « modules de rattrapage » dont les moyens étaient pris sur l’enveloppe horaire de l’établissement ! Peu de proviseurs sans doute ont tenté ce petit jeu, très risqué, de réduire l’enveloppe horaire de la préparation disciplinaire au bac !
Donc silence sur l’orientation en cours de lycée, mais également silence sur l’orientation post-bac. Curieux ! D’autant plus qu’une réforme du baccalauréat, sans doute le bac noble, le général, est envisagée, avec le recentrage sur les matières dominantes. Il n’y aurait plus que quatre épreuves, le français en fin de première et trois autres l’année suivante, le reste serait évalué par contrôle continu.
Donc là encore à la place d’évolutions dans le domaine de l’orientation on agite les vieux modèles de la sélection.
Peut-être qu’un professeur enseignant au collège en multi-disciplinarité, en l’observant sous plusieurs des angles de sa sensibilité, saura repérer, pour proposer d’ y remédier, certaines des causes du mal-être de son élève, mais est-ce bien l’objectif prôné ?
Quels seront les moyens donnés à cet enseignant pour consacrer du temps et de l’expertise à son élève (en matière d’orientation, cette expertise doit être aussi vaste qu’approfondie !) ? Quelles seront la reconnaissance et la valorisation de son attention ? Sans parler de l’indispensable réforme en ce cas des concours d’accès au métier, focalisés aujourd’hui sur l’évaluation quasi exclusive d’une extrême compétence disciplinaire…
Prôner au lycée un recentrage sur les 3 ou 4 disciplines dominantes revient à pré-orienter précocement, alors que l’on sait bien, en études supérieures, que les écoles les plus cotées sont aussi les plus généralistes.
Ces manœuvres me semblent découler d’une vision utilitariste de l’école, elles sont inspirées par la hantise du chômage et ne veulent pas considérer le rôle initial et primordial de la scolarité d’emmener l’enfant vers son épanouissement futur dans sa collectivité et sa conscience sociale.
Comme l’indique Monsieur Desclaux, on observe des reconversions tardives vers l’artisanat, garantes de sa revalorisation. Ces reconversions sont opérées par des personnes qui ont su retenir de leur parcours scolaire la liberté de choix éclairée qu’ils y ont acquise. En tant que conseiller d’orientation, mon premier point d’appui consiste à rappeler aux jeunes qui viennent me consulter qu’ils ont encore le choix de leurs engagements. Si ce choix est résolu, étayé et assumé, les difficultés pour y parvenir deviennent relatives. Ce discours est beaucoup moins bien entendu par ceux qui ont été canalisés, plus ou moins habilement.
L’école selon Monsieur Fillon a-t-elle définitivement perdu de vue l’idée Socratique qu’une fois que l’on sait qui on est, et où on vit, on commence aussi à comprendre ce que l’on peut y accomplir ?