Accueil > Le Mag > Orientation scolaire : la grande oubliée de la réforme du collège ?

Le constat, impitoyable, figurait dans les premiers paragraphes de la déclaration d’intention de Najat Vallaud-Belkacem au sujet de la réforme du collège, qui sera effective dès septembre prochain.

(Le collège) est inadapté au développement des compétences indispensables à la future insertion des collégiens et peu efficace sur l’orientation et la lutte contre le décrochage.

« Le collège est peu efficace sur l’orientation ». Cet aveu, bien que quelque peu sibyllin, pour ne pas dire franchement abscons, laissait présager des changements à la hauteur de ceux qui verront le jour à la rentrée. Une quasi révolution donc si l’on en juge par l’ampleur de cette réforme fustigée par certains syndicats et associations de parents d’élèves et qui concernera autant les programmes scolaires, que les méthodes et dispositifs pédagogiques arrêtés.

Pourtant, en dépit d’une lecture attentive, la problématique de l’orientation scolaire, pas plus que la façon d’y remédier ne figurent clairement parmi les objectifs assignés au collège version 2016. Et la disparition discrète mais probante des Centres d’Information et d’Orientation (une trentaine a été fermée en France en l’espace de quatre ans), ne devrait pas favoriser une quelconque amélioration des choses.

orientation scolaire et réforme du collège

Certes, l’acquisition du socle commun de connaissances, la prise en compte des disparités entre élèves, l’impérieuse nécessité de faire de l’école un relai des valeurs républicaines, jusqu’à l’apprentissage du numérique, dont on ne doute pas qu’il constitue une gageure pour cette population qui passe plus de temps devant un smartphone ou un écran d’ordinateur que devant la Grande Encyclopédie… Tous ces enjeux sont ré-affirmés dans la réforme « voulue par le Président de la République ».

Mais nulle trace des bénéfices de la réforme du collège sur l’orientation scolaire des collégiens.

Nulle trace non plus des moyens mis en oeuvre pour passer d’une culture de l’orientation imposée par l’Éducation Nationale en fin de 3e au développement d’une « éducation à l’orientation » telle que l’Europe la recommande depuis 2008.

Sur son blog, Bernard Desclaux, ancien directeur d’un CIO, enfonce le clou :

Depuis une vingtaine d’année est apparue en France une autre préoccupation concernant l’orientation : l’éducation à l’orientation, non pas entendue comme aide à l’orientation scolaire, mais comme acquisition d’une compétence pour la vie. L’Europe soutient cet objectif, avec notamment l’adoption le 21 novembre 2008 de la résolution intitulée : « Mieux inclure l’orientation tout au long de la vie dans les stratégies d’éducation et de formation tout au long de la vie ». Elle recommande notamment aux États membres de « favoriser l’acquisition de la capacité à s’orienter tout au long de la vie ».

Nous avons recueilli son point de vue sur la situation de l’orientation scolaire en France.

 

bernard desclaux

Lors des discussions engagées pour définir les contours de la Refondation sous le ministère de Vincent Peillon, le thème de l’orientation fut travaillé. La position des syndicats, notamment n’était pas très claire. Il y avait une grande hésitation sur la suppression ou non des procédures d’orientation.

À l’origine la loi prévoyait de donner la main aux parents en matière d’orientation à la fin de la troisième. Mais finalement cela se transforma en une « expérimentation ». J’ai donné mon point de vue sur celle-ci dans plusieurs posts. Les deux derniers rapports de l’Inspection générale montrent qu’il n’y a pas eu de modifications radicales des flux d’orientation. On peut donc s’interroger sur ce qu’en tirera le ministère.

La loi prévoit également un développement de la compétence à s’orienter, ce qui s’inscrit dans une conception éducative de l’orientation qui a commencé tardivement à être mis en œuvre en France au milieu des années 90. Les élèves ont à construire leur orientation dans le système scolaire, mais aussi et peut-être surtout dans leur vie professionnelle future. Le Parcours Individuel d’Information, d’Orientation et de Découverte du Monde Economique et Professionnel, inscrit dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école du 8 juillet 2013PIIODMEP prend donc la suite du Parcours de Découverte des Métiers et des FormationsPDMF qui lui-même succède à l’éducation à l’orientation.

Mais parmi toutes les difficultés qui freinent cette conception (et c’est peu dire), j’en relève deux :

  1. l’éducation suppose un espace sans trop de contraintes. Le maintien des procédures ne permet pas cela. Pouvoir sur soi et pouvoir sur l’autre sont incompatibles.
  2. L’autre frein c’est notre tradition « pédagogique », la spécialisation de l’enseignant sur sa discipline et la conception individualiste, en solitaire de son travail. Cela bloque la mise œuvre de toute pédagogie visant l’acquisition de compétences.

L’orientation dépend également de l’organisation du système lui-même. Comme le dit Claude Lelièvre :

« La « refondation » ne concerne pas (directement) l’ensemble du système éducatif, mais est inscrite essentiellement dans le périmètre de l’Ecole obligatoire. Ce n’est pas une  « réforme » de plus. C’est une re-fondation de l’Ecole républicaine et laïque. »

La construction en continu des programmes sur ce nouvel ensemble, primaire-collège, ainsi que la structuration en cycles faisant un pont entre la fin du primaire et le début du secondaire, vont dans ce sens. L’idée de l’école moyenne pour tous, et unifiée avance donc. Une réussite de ce modèle se trouve en Finlande comme l’ont montré les enquêtes PISA depuis une quinzaine d’année !

Reste un problème de taille : à la sortie du collège que trouve-t-on ? Une offre de formation qui sépare la population scolaire en des destins contrastés. Et la question vient immédiatement : qui décide de la répartition entre les deux blocs et sur quelle base ? Dans la tradition française, c’est la tâche du collège et celle de ses personnels, d’où le maintien des procédures d’orientation. Et pour justifier de cette répartition, il faut de vraies différences attribuables aux élèves. D’où le débat sur les notes si essentielles pour « objectiver » les différences.

Cette fonction de répartition-différenciation des élèves du collège a également un effet sur son fonctionnement et organisation lui-même. S’il se doit de différencier les élèves, alors il ne peut avoir pour objectif de faire acquérir à tous le socle commun. Un vrai collège unique suppose en fait un lycée unique, en tout cas, ce rôle de répartition ne peut être maintenu à la fin du collège. La conception d’UN lycée qui serait éventuellement répartiteur est très compliquée, et à mettre en œuvre sans doute encore plus ! Cela supposerait sans doute une remise en cause de notre conception adéquationniste de la formation professionnelle.

orientation scolaire france

Mais concernant l’orientation il faut prendre en compte d’autres événements qui se sont passés durant cette période. Une toute petite modification a été portée à notre procédure d’orientation, la quasi suppression du redoublement. Curieusement cette modification n’a provoqué aucune opposition. On peut penser que la Dotation Horaire GlobaleDHG permet de moins en moins ce « luxe » dans les établissements. De fait cela veut dire que la procédure aux différents paliers du collège (sauf en troisième) n’a plus réellement raison d’être. Tout le monde avance, et les parcours (le choix des options entre autre) sont théoriquement décidés par les parents.

D’autres changements à bas bruit se sont produits. Du côté du personnel, il y a la création d’un corps unique de psychologues de l’éducation nationale qui rassemble les psychologues scolaires et les conseillers d’orientation-psychologues. Pour le moment on dit que les territoires professionnels sont inchangés, primaire pour les uns, secondaire pour les autres. Mais avec le bloc école-collège qui se construit, la frontière sera sans doute levée. La ministre actuelle prône ou en tout cas se dit très favorable à un accompagnement des élèves par les psychologues. Mais faut-il encore que le nombre des professionnels le permette. Ce n’est sans doute pas le cas aujourd’hui pour les conseillers qui ont perdu plus de mille postes en quelques années.

Ils étaient 4700 à la fin des années 2000. Ils sont moins de 3500 aujourd’hui !

Donc accompagnement difficile en collège d’autant plus qu’ils interviennent également en lycée et dans le supérieur. Et doivent également participer au Service Public Régional d’OrientationSPRO. Lors des journées de la Refondation qui viennent de se dérouler à Paris, la ministre Najat Vallaud Belkacem a déclaré dans son discours du 3 mai :

Nous continuerons d’agir pour notre école, avec de nouvelles étapes : rendre plus fluide la transition vers l’enseignement supérieur, poursuivre la valorisation des parcours dans l’enseignement professionnel. De beaux chantiers sont encore devant nous !

Elle a également expliqué ce dernier objectif de la manière suivante d’après le Café pédagogique.

Elle rappelle que les élèves de 2de pro pourront à la Toussaint 2016 choisir une réorientation « y compris pour retourner dans l’enseignement général ». Pour la ministre, « si on veut revaloriser l’enseignement professionnel, il ne faut jamais donner l’impression que c’est une filière subie. Ce doit être une filière choisie ». Cela supposera également une adaptation de l’offre, très décalée aujourd’hui par rapport aux voeux des élèves. Ce qui semble difficile.

Ambiguïté de la formulation. S’agit-il de gérer autrement la circulation entre les deux types de lycées (lycée professionnel et lycée général et technologique) ? Ou est-ce que cela touche à la procédure d’orientation et à la procédure d’affectation ?

Dernière information : Au Bulletin Officiel de l’Education NationaleBOEN du 19 avril dernier est précisée la liste des établissements retenus pour l’extension de l’expérimentation du choix donné à la famille dans le cadre de la procédure d’orientation à l’issue de la classe de troisième. On reste donc dans l’expérimentation, mais on l’élargit. Si on rajoute ce petit pas à celui de la suppression du redoublement, il me semble que cela devrait conduire tout doucement vers la fin des procédures, à moins d’un retour de l’autoritarisme…

Les solutions aux problèmes de l’orientation scolaire ne peuvent être envisagées qu’à l’aune d’un système plus vaste.

Difficile de formuler un point de vue quant aux solutions à envisager. Je ne pense pas que des « solutions » soient possibles. Des solutions résolvent un problème à l’intérieur d’un système sans modifier le système lui-même. Ici, je pense que j’ai suggéré que l’orientation (qui a déjà de multiples sens) fait partie d’un système « cohérent ». Les modifications d’une partie sont en fait peu efficaces et sont le plus souvent réintégrées dans le fonctionnement général du système.

Notre système est pour l’essentiel hiérarchisant et non pas éducatif. Nos procédures d’orientation, notre système d’évaluation basé sur la notation, la structuration du système scolaire, mais aussi le statut des enseignants, leur rôle pédagogique centré sur le cours et la/les disciplines, la pédagogie de l’erreur et non de la réussite, etc… tout ceci se tient solidairement.

Qu’est-ce que l’orientation ? La circulation des élèves dans le système scolaire ? Si l’orientation est « un processus continu d’appui aux personnes tout au long de leur vie pour qu’elles élaborent et mettent en œuvre leur projet personnel et professionnel en clarifiant leurs aspirations et leurs compétences par l’information et le conseil sur les réalités du travail, l’évolution des métiers et professions, du marché de l’emploi, des réalités économiques et de l’offre de formationDéfinition européenne de l’orientation proposée au cours de la Conférence PETRA, Rome, novembre 1994. », alors elle doit être considérée comme un « service aux personnes ». Or la plupart de nos organismes d’orientation mettent en œuvre ou son adossés à des politiques d’orientation des personnes et non pas d’aide aux personnes.

Julie MLECZKO

Julie Mleczko

Julie Mleczko, rédactrice en chef de Studyrama, s’interroge aussi.

En effet, après avoir lu ces propositions, je ne vois pas non plus où ni comment l’orientation va être renforcée au collège. Pourtant, selon moi, il est primordial que, dès la 6e, le thème de l’orientation soit évoqué. Evidemment cela demande une démarche spécifique, un atelier régulier peut-être…

On s’en approche un tout petit peu avec la proposition de la Ministre qui parle de « compétences adaptées au monde actuel » : apprendre à travailler en équipe, à proposer, à expérimenter, à s’exprimer à l’oral, à conduire un projet… Pour moi c’est déjà une approche du monde du travail et donc une possibilité pour les collégiens de se projeter dans leur futur. Mais ce n’est pas assez. Les heures d’accompagnement personnalisé pourraient peut-être également être utilisées pour évoquer les futures options et poursuites d’études que le collégien peut envisager ?

Quels sont selon vous les principaux écueils de l’orientation scolaire en France aujourd’hui et quelles pourraient être toujours selon vous les pistes à envisager pour y remédier ?

L’orientation scolaire en France est quasi inexistante. J’en ai une assez bonne vision puisque par le biais des salons Studyrama que nous organisons, je croise de nombreux jeunes. Dans 90% des cas, jamais ils n’ont abordé le sujet de leur orientation avec des professeurs ou des conseillers d’orientation. Et ceux qui ont pu recevoir des conseils et échanger autour de cela ont reçu des réponses qui me semblent peu appropriées à toutes les possibilités que l’enseignement supérieur propose en France aujourd’hui.

Notre plus gros écueil, c’est que le monde du travail, de l’entreprise, est absent de l’enseignement scolaire, jusqu’au stage de 3e où là, le jeune a 3 jours pour se rendre compte de ce que vivent ses parents et les adultes qui l’entourent : respecter des horaires, respecter une hiérarchie, des ordres, des missions, s’habiller de façon professionnelle, devoir faire parfois des choses inintéressantes, savoir se comporter et parler convenablement… Bref, travailler !

Jamais ils ne semblent aborder en cours ce qu’est le travail et le monde de l’entreprise. Ils n’en ont du coup aucune vision, si ce n’est parfois une vision déformée par le fait que l’un de leur parent soit peut-être au chômage… Je trouve qu’on ne leur met pas assez les pieds dans la réalité. Je ne parle pas de les choquer et de ne leur parler que des choses désagréables, c’est tout le contraire : pourquoi doit-on travailler ? Quel est l’objectif ? En quoi est-ce utile à l’être humain ?

Evidemment il faudrait développer les visites d’entreprises ou les rencontres avec des professionnels, pour leur donner envie de se projeter eux aussi. Ce n’est pas en 6e que l’on choisit son futur métier, mais il serait au moins possible de se faire une idée de ce qu’on aimerait faire.

En leur parlant du travail et des métiers, on pourrait alors aborder les différentes voies pour y parvenir, donc l’enseignement supérieur. Les élèves n’arriveraient pas ainsi en terminale sans aucune idée du secteur, si ce n’est des métiers, qu’ils envisagent pour eux-même.

Bien sûr : les valeurs de la république et le programme des fondamentaux, c’est indispensable. Mais donner envie aux jeunes de s’intéresser au monde du travail pas seulement par le prisme de la crise dont on leur rabâche les oreilles, ce serait déjà un grand pas vers plus de motivation de leur part, et donc de réussite. Enfin je suis peut-être naïve, mais c’est ainsi que je vois les choses et que je tente d’en parler à mes enfants !

Pour en savoir plus sur le sujet de l’orientation scolaire