Je suis Dys et plus tard je ferai quoi ? C’est sur ce thème que la Fédération Française des Dys a organisé sa 17ème journée nationale. Un événement consacré aux troubles de l’apprentissage. 1 français sur 10 serait concerné*. 7 millions « d’invisibles » comme les appelle la fédération. Des chiffres difficilement vérifiables puisqu’il n’existe aucun recensement officiel en la matière.
On peut raisonnablement supposer que si les choix d’orientation s’avèrent souvent difficiles à faire pour de nombreux jeunes, l’exercice gagne en complexité pour ceux que l’on qualifie « d’atypiques ». Ne serait-ce que parce que quand le trouble est avéré (ce qui n’est pas toujours le cas), le jeune doit concilier accompagnement de soins adapté, scolarité perturbée et perspectives d’études futures obscurcies.
Quels sont les troubles dont il est question ? Quels sont les principaux dispositifs existants ? Comment aborder les objectifs spécifiques de l’orientation scolaire pour ces jeunes ?
Tentons d’y voir plus clair avec l’aide de Virginie Chausson, Conseillère en orientation Tonavenir spécialiste de ces sujets.
* 1 sur 6 selon le Ministère des solidarités qui inclut les TDI (trouble dissociatif de l’identité) et l’autisme.
Les manifestations des troubles de l’apprentissage sont multiples
Précisons d’emblée que troubles de l’apprentissage et intelligence ne sont pas corrélés. D’ailleurs, nombreux sont les enfants précoces ou à haut potentiel qui souffrent d’un Dys.
Comprendre les enjeux et identifier les solutions susceptibles d’être mises en oeuvre pour un jeune désavantagé par un trouble de l’apprentissage suppose de se familiariser avec les innombrables acronymes existants.
Dys, TND, TSLA, TDAH, PPRE, PAI, PAP, PPS, RASED, AESH, MDPH, CDAPH… composent le spectre étendu de noms abscons et de dispositifs complexes destinés à circonscrire cet univers taxinomique singulier.
Simplifions en disant que le préfixe Dys est l’autre nom des Troubles Spécifiques du Langage et des Apprentissages (TSLA), et ce pour la bonne raison qu’il est utilisé pour qualifier la majorité des troubles concernés.
- Troubles du language écrit : dyslexie (difficultés de lecture), dysorthographie (difficultés liées à l’expression écrite), dysgraphie (difficultés d’écriture);
- Troubles du language oral : regroupés sous le vocable dysphasie (compréhension et/ou expression d’un message verbal, articulation, bégaiement, retard de parole…);
- Dyscalculie : difficultés en mathématiques (calculer, compter, résoudre des problèmes…);
- Dyspraxie : difficultés de coordination motrice.
D’autres troubles peuvent affecter peu ou prou l’apprentissage : TDAH (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité), syndrome dysexécutif (difficultés de planification ou d’organisation, d’abstraction, de gestion de la pensée et du comportement…), dysmnésie (difficultés de mémorisation), dyschronie (difficultés de perception de la chronologie, évaluation de la durée…), dysthymie (trouble de l’humeur)…
Il arrive que ces troubles se combinent entre eux ou en résultent. Ce qui complexifie un peu plus le choix des soins à envisager.
Quant aux choix d’enseignements de spécialités, aux questions d’orientation, aux projets d’études post-bac… nul doute qu’ils achèvent de plonger les intéressés dans la confusion la plus totale.
Dys et difficultés scolaires : la faute aux principaux concernés ?
Dans « Les enfants Dys », Gabriel et Marie Wahl notent qu’aujourd’hui encore, certains « spécialistes » (psychologues, médecins…) mettent en cause la responsabilité des jeunes ou des familles pour expliquer les troubles de l’apprentissage.
Les enfants dys subissent souvent de longues années de souffrance scolaire et d’errance diagnostique avant que leurs troubles ne soient identifiés (…)
Bien que la nature neuro-biologique des troubles dys ou TSLA soit établie, ils continuent d’être attribués à des causes fautives de l’enfant (immaturité, manque d’effort, manque de motivation, etc.) et des parents (suspicion d’une éducation défaillante).Les enfants Dys • Gabriel & Marie Wahl • Editions PUF
Une culpabilisation qui non seulement complexifie ou retarde le recours à des solutions et des accompagnements qui pourtant existent, mais contribue parfois aussi au développement de souffrances psychologiques (anxiété, phobie scolaire…).
Une étude révèle que les élèves français, comparés à leurs homologues occidentaux, « figurent parmi ceux qui ont le moins confiance en leurs propres capacités, sont les plus anxieux et présentent une forte défiance envers le système scolaire ».
Scolarité et orientation : les dispositifs dédiés aux profils atypiques ne sont pas toujours disponibles
En novembre dernier, la nouvelle stratégie 2023-2017 pour les troubles du neuro-développement a été publiée. Elle fait suite aux 6 Conférences nationales du handicap mis en place depuis 2017, aux 7 Comités interministériels du handicap orchestrés depuis 2005 et à la « consultation citoyenne » menée au printemps 2023.
Parmi les 6 engagements et 81 mesures pris dans le cadre de cette stratégie, l’engagement n°4 recommande « d’adapter la scolarité de la maternelle à l’enseignement supérieur ».
Au programme : meilleur suivi des élèves concernés, formation des équipes pédagogiques, extension des dispositifs scolaires en cours, accès facilité à l’enseignement supérieur…
Pour soutenir les enfants dans leur parcours scolaire, tous les liens entre l’école et les professionnels (libéraux, médico-sociaux, hospitaliers) qui entourent les élèves autistes, Dys, TDAH, TDI seront favorisés pour prévenir les ruptures et travailler l’orientation.
Dossier de presse stratégie nationale TND 2023-2027
Ces nouvelles actions viendront compléter ou renforcer les moyens en place : programme personnalisé de réussite éducative (PPRE), projet d’accueil individualisé (PAI), plan d’accompagnement personnalisé (PAP), projet personnalisé de scolarisation (PPS)…
Il faut souhaiter que les ambitions affichées permettent d’enrayer les lacunes existantes.
Dans leur ouvrage, Gabriel et Marie Wahl notent par exemple que l’accès à des soins de qualité demeurent très inégalement réparties sur le territoire.
Il faut (…) déplorer que la « différenciation pédagogique » – c’est le terme officiel – se distribue au petit bonheur la chance des initiatives locales, faute de directive ministérielle impérative. Dans son rapport 2018, la médiatrice de l’Éducation nationale écrit à propos des aménagements d’examens que « certains rectorats font preuve de bienveillance et d’autres refusent tout aménagement ».
Mesures envisagées par le Ministre de l’Education pour élever le niveau des savoirs : une double peine pour les élèves Dys ?
Le « véritable électrochoc » ardemment souhaité par Gabriel Attal, suite à la publication de la dernière enquête PISA n’a pas totalement réjouit la FFDys. Il fait suite aux conclusions récentes d’une mission « exigence des savoirs » conduite en octobre dernier.
Redoublement, groupes de niveau, brevet… dans un communiqué publié le 18 décembre 2023, la fédération exprimait « des préoccupations quant à l’impact potentiellement négatif des annonces du ministre ».
La FFDys s’inquiète notamment de la réintroduction du redoublement, soulignant que cela affecte fréquemment les élèves dysphasiques en maternelle, les enfants dyspraxiques au primaire, et les élèves dyslexiques et dyscalculiques à l’élémentaire (…) La création de groupes de niveau en français et mathématiques au collège est également critiquée. Des études mentionnées suggèrent des effets négatifs de cette différenciation, et la FFDys craint que les élèves « Dys » soient injustement confondus avec ceux ayant des difficultés scolaires, entraînant une perte de chance.
Qu’elles n’aillent pas assez loin pour certains ou qu’elles présentent des risques pour d’autres, les décisions de l’éphémère Ministre de l’Education Nationale pourraient être par ailleurs freinées par ce que l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire-Géographie) qualifie de « choc des moyens »…
ENTRETIEN AVEC VIRGINIE CHAUSSON
Virginie Chausson, Conseillère en orientation à Armentières (59), a bien voulu répondre à nos questions.
Comment expliquer qu’il n’existe aucune statistique officielle sur le nombre de personnes affectées par un trouble de l’apprentissage ?
Il n’existe aucune statistique officielle car les chiffres varient en fonction de la nature des troubles étudiés et le degré de sévérité pris en compte, mais également selon les pays, les époques et les études.
L’orientation scolaire est un enjeu quel que soit le profil des jeunes concernés. Quelles sont les difficultés et les questionnements spécifiques rencontrés par les élèves « atypiques » pour trouver leur voie ?
Il est absolument nécessaire de tenir compte de contraintes spécifiques dans l’orientation des élèves porteurs de TSLA : lenteur et fatigabilité, difficultés à s’exprimer oralement ou par écrit, maladresse, risque plus élevé de double-tâche, organisation spatio-temporelle compliquée, difficultés du maintien de l’attention etc…
Lorsqu’un métier est envisagé, Il est donc indispensable de vérifier que les compétences et qualités requises pour ce dernier ne soient pas incompatibles avec les difficultés rencontrées.
Certains emplois ne sont donc pas adaptés et nécessitent d’être écartés de ses choix.
D’où le questionnement légitime de ces élèves « atypiques » : Dans le métier que j’envisage, le rythme de travail ne sera-t-il pas trop soutenu ? Vais-je pouvoir faire des pauses ? Pourrais-je travailler à temps partiel ? Aurai-je droit à des aménagements ou des aides pour compenser les compétences que je ne possède pas suffisamment ?
Quels sont les TSLA les plus handicapants pour les choix d’orientation et la poursuite d’études post-bac ?
Aucun TSLA n’est plus handicapant qu’un autre, cela dépend du type de métier ou d’étude envisagé.
De plus, quand elles sont possibles, les entreprises et des établissements scolaires (collège, lycée et enseignement supérieur) permettent des compensations en accordant des aménagements pour les étudiants et travailleurs porteurs de ces handicaps.
Quelles solutions, techniques, méthodes… peuvent être mobilisées pour accompagner ces profils particuliers dans leurs choix d’orientation ?
Il est nécessaire avant tout d’anticiper le processus de l’orientation bien en amont (dès le début de classe de 4ème pour l’orientation après la 3ème et en 1ère pour l’orientation après le baccalauréat).
Cette anticipation qui commence par la détermination du métier futur, peut passer par les étapes suivantes :
- Tout d’abord, il faut aider l’élève à se construire une représentation claire des situations de travail et des activités les plus significatives de l’emploi qu’il envisagerait d’exercer.
- Vérifier avec lui s’il est envisageable de s’engager dans cet emploi compte-tenu des caractéristiques de son handicap.
- Mettre à plat les compensations (raisonnables) qu’il serait nécessaire de mettre en place (compensations techniques, organisationnelles et humaines).
- Inciter l’élève à effectuer des temps d’observations en entreprise ainsi que des stages où sa participation serait active, afin de mieux cerner les difficultés éventuelles et définir les compensations adéquates.
Une fois le métier validé, la même démarche est à adopter concernant la recherche des études à mener :
- Amener l’élève à s’intéresser aux exigences propres aux études et diplômes visés et à anticiper les adaptations envisageables.
- Inciter l’élève à se rendre aux journées portes ouvertes, rencontrer les responsables, prendre contact avec le référent handicap.
Dans le cadre de votre activité de Conseillère en orientation au sein du réseau Tonavenir, avez-vous eu à accompagner un élève souffrant d’un trouble du neuro-développement et comment avez-vous pu l’aider ?
Non, malheureusement, peu d’élèves encore, avec ce profil particulier, viennent demander l’aide d’un conseiller en orientation. Et pourtant, la démarche est essentielle pour œuvrer à l’épanouissement du jeune dans sa vie professionnelle future.